- Si la Loi du 9 avril 2024 dite « Habitat dégradé » propose des outils visant à faciliter le vote et le financement des travaux de rénovation énergétique, notamment en modifiant les règles de majorité et en créant un nouveau type d’emprunt collectif, les désaccords entre les copropriétaires sur le sujet restent nombreux et houleux.
La rénovation énergétique des bâtiments n’est plus simplement une alternative, mais un impératif économique, écologique et surtout une obligation juridique qui devient de plus en plus contraignante.
Dans ce contexte, le financement de ces travaux est la difficulté majeure que les Syndics doivent maîtriser en plus du cadre juridique et de la complexité technique des travaux.
L’article 33 de la Loi du 10 juillet 1965, qui permet aux copropriétaires « n’ayant pas donné leur accord à la décision prise » des travaux d’imposer au Syndicat des copropriétaires un paiement échelonné sur 10 ans, pourrait être une voie de financement pour certains copropriétaires.
Mais, cet article s’applique-t-il aux travaux de rénovation énergétique ?
2) Quel est le régime juridique applicable ?
Afin d’apporter une réponse, il convient de détailler le régime légal d’ensemble prévu par le Législateur qui procède d’une lecture combinée des articles 30 à 34 de la Loi de 1965.
Pour rappel, l’alinéa 1er de l’article 30 dispose :
« L’assemblée générale des copropriétaires, statuant à la majorité prévue à l’article 25, peut, à condition qu’elle soit conforme à la destination de l’immeuble, décider toute amélioration, telle que la transformation d’un ou de plusieurs éléments d’équipement existants, l’adjonction d’éléments nouveaux, l’aménagement de locaux affectés à l’usage commun ou la création de tels locaux. »
Concrètement, tous travaux d’amélioration des parties communes doivent être votés par l’Assemblée générale à la majorité absolue, ce qui ne relève pas de l’évidence pour les travaux de rénovation énergétique.
Les résolutions adoptées lors de l’Assemblée générale s’imposent à tous les copropriétaires, y compris aux opposants même si ceux-ci disposent d’un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal pour saisir la juridiction judiciaire territorialement compétente aux fins de contestation dudit projet (Art. 42).
En tout état de cause, la décision prise par l’Assemblée oblige tous les copropriétaires à participer au financement des travaux dans les proportions fixées par l’Assemblée générale (art. 32).
L’article 33 prévoie quant à lui la possibilité d’un échelonnement des charges pour les copropriétaires qui n’ont pas donné leur accord à la résolution, avec l’obligation de notification de leur décision au syndic dans un délai de deux mois suivant la notification du procès-verbal de l’Assemblée générale, sous peine d’irrecevabilité de leur demande.
En pratique, le copropriétaire qui remplit les conditions posées par l’article pourra régler sa quote-part en dix annuités moyennant le paiement d’intérêts « au taux légal d’intérêt en matière civile ». De plus le Syndicat des copropriétaires est en droit de prendre une hypothèque sur son lot, aux frais du demandeur, pour garantir sa créance dans les conditions de l’article 19 de la Loi.
- Le manquement à ce délai de deux mois entraîne la forclusion. Concrètement, le syndic peut valablement refuser la demande sur ce seul motif.
2) Quels sont les types de travaux concernés ?
La première difficulté juridique résulte de la rédaction de l’article 33 qui ne fait pas mention d’une liste exhaustive des travaux susceptibles de faire l’objet d’un paiement échelonné. En effet, le texte adopte une définition négative selon laquelle : « Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables lorsqu’il s’agit de travaux imposés par le respect d’obligations légales ou réglementaires. » (al. 3).
En clair, cet article précise les cas où cette faculté ne s’applique pas, à savoir les travaux imposés par la loi ou la réglementation (par exemple : la sécurisation des ascenseurs, le ravalement des façades voté à la suite d’une injonction de la commune ou encore les travaux prescrits par un arrêté de péril). Cela renvoie à l’ensemble des travaux essentiels à la stabilité de la structure et à la sécurité des biens et des personnes revêtant une absolue nécessitée et parfois exigés par l’autorité publique compétente (maire ou préfet de département), sur le fondement de leur pouvoir de police administrative.
L’ambiguïté de cette définition réside donc dans sa terminologie : si seuls les travaux obligatoires sont exclus, cela signifie-t-il que le paiement échelonné est envisageable pour tous les autres types de travaux, incluant de facto les travaux énergétiques ?
Le juge judiciaire a très tôt répondu par la négative en restreignant la portée de cette exigence légale considérant que l’article 33 n’a pas vocation à s’appliquer aux travaux d’entretien (CA Paris, 31 octobre 1980). Cette jurisprudence est d’ailleurs toujours suivie, à droit constant, par les juges du fond qui adoptent une lecture stricte des conditions visées à l’article 30 permettant de mieux comprendre les travaux constitutifs d’une amélioration de l’immeuble.
– En premier lieu, la notion d’amélioration doit être distinguée « des travaux qui, sans être immédiatement nécessaires, constituent des précautions normales » (TGI Paris, 9 déc. 1976). Il se déduit de cette solution que des travaux ne peuvent être réputés d’amélioration que lorsque ces derniers ne répondent pas à une condition de nécessité.
– En deuxième lieu, l’amélioration doit revêtir une certaine ampleur. Autrement dit, elle doit impérativement profiter à l’ensemble des copropriétaires (Cass. Civ. 3ème, 16 mars 2017, n° 15-28.784).
– En dernier lieu, l’amélioration doit être conforme à la destination de l’immeuble qui doit conserver « ses caractéristiques générales, son apparence, ses conditions d’habitation et le standing » qu’il avait postérieurement auxdits travaux (Civ. 3ème, 3 avril 2002, n° 03-04-2002).
3) Quid des travaux de rénovation énergétique ?
- À l'aune de ces précisions jurisprudentielles, il apparait que les travaux de rénovation énergétique sont exclus du champ d’application de l’article 33 et, ce, pour plusieurs raisons.
– D’une part, l’article 33 figure dans un chapitre intitulé « Améliorations, additions de locaux privatifs et exercice du droit de surélévation » avec une règle de majorité spécifique (art. 25). Or, les diagnostics énergétiques (DPE, DTG, PPPT) prescrivant, le cas échéant, des travaux énergétiques et thermiques obligatoires sont codifiés dans une autre partie de la Loi du 10 juillet 1965, suivant une procédure et une règle de majorité distincte (art. 24). Cette distinction textuelle témoigne de la volonté du législateur de marquer une frontière claire entre ces deux types de travaux (amélioration et rénovation).
– D’autre part, il ressort de l’article 14-2 de la Loi relatif au Projet de Plan Pluriannuel de Travaux (qui reprend les recommandations du DPE et du diagnostic technique global) que ce dernier comprend la « liste des travaux nécessaires à la sauvegarde de l’immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité des occupants, à la réalisation d’économies d’énergie et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre » (1°). Cette terminologie s’avère éclairante puisqu’elle rattache les travaux de rénovation énergétique à des travaux nécessaires à la sauvegarde de l’immeuble, à la sécurité des copropriétaires et à la réalisation d’économie d’énergie, ce qui vient renforcer l’argumentation.
De plus, les travaux de rénovation énergétique reposent sur la notion de performance, en témoigne explicitement l’article L. 111-1 du Code de la construction et de l’habitation qui définit conjointement ces deux notions :
« 17° bis Rénovation énergétique performante :
La rénovation énergétique d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment à usage d’habitation est dite performante lorsque des travaux, qui veillent à assurer des conditions satisfaisantes de renouvellement de l’air, permettent de respecter les conditions suivantes :a) Le classement du bâtiment ou de la partie de bâtiment en classe A ou B au sens de l’article L. 173-1-1 ;
b) L’étude des six postes de travaux de rénovation énergétique suivants : l’isolation des murs, l’isolation des planchers bas, l’isolation de la toiture, le remplacement des menuiseries extérieures, la ventilation, la production de chauffage et d’eau chaude sanitaire ainsi que les interfaces associées. »
Enfin, il convient de soulever un élément d’actualité tiré de la Loi déjà évoquée « Habitat dégradé » du 9 avril 2024. En effet, ce texte a introduit un article 26-14 dans la Loi de 1965 en vertu duquel « L’article 33 n’est pas applicable aux décisions prises sur le fondement du III de l’article 26-4. » (c’est-à-dire aux travaux d’intérêt collectif sur parties privatives).
- Dès lors, là où les travaux de rénovation énergétique reposent sur la notion de performance, les travaux d’amélioration se fondent sur celle de confort. Par conséquent, en l’état du droit, les dispositions de l’article 33 ne s’appliquent pas aux travaux de rénovation énergétique qui ne répondent pas aux caractéristiques des travaux d’amélioration.
Le cabinet reste naturellement à votre disposition pour vous accompagner dans ces démarches complexes et sécuriser vos procédures en l’absence de texte clair sur le sujet.
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