Copropriétés : les dangers de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 à travers ses diverses rédactions depuis 2001.

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Copropriétés : les dangers de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 à travers ses diverses rédactions depuis 2001.

Me Eric Audineau - Equipe
Alexandre BALOSSI - Juriste - Audineau & Associés - Avocats spécialistes du droit immobilier
Par Eric Audineau, Avocat et Alexandre Balossi, Juriste
27 décembre 2023

Ce que vous allez lire ici :
Cet article traite des difficultés liées aux impayés dans les copropriétés et des mesures mises en place pour résoudre ce problème.

Les impayés de charges sont une des difficultés rencontrées par les syndicats des copropriétaires et ceux-ci peuvent les mettre dans une situation inextricable.

Face à une situation d’impayés, le syndicat des copropriétaires, après bien évidemment que le syndic ait mis en œuvre des mesures précontentieuses, n’a pas d’autre choix que de diligenter une procédure contentieuse devant la juridiction compétente.

Or, la dette du syndicat augmente à chaque appel de fond selon les résolutions votées par l’Assemblée générale (appels de charges prévisionnelles, de régularisation annuelle de charges, de cotisations au fonds de travaux et de charges travaux).

Il se pose donc la difficulté du décalage entre la dette retenue par la Juridiction saisie et la dette réelle du copropriétaire débiteur, outre le fait que pour les copropriétaires débiteurs chroniques la copropriété doit enchainer les procédures en recouvrement les unes après les autres.

Afin de tenter d’apporter une solution à cette problématique, le législateur a créé avec la loi SRU du 13 décembre 2000, l’article 19-2 suivant lequel :

« À défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision prévue à l’article 14-1, les autres provisions prévues à ce même article et non encore échues deviennent immédiatement exigibles après mise en demeure par lettre recommandée avec demande d’avis de réception restée infructueuse pendant plus de trente jours à compter du lendemain du jour de la première présentation de la lettre recommandée au domicile de son destinataire.
Après avoir constaté le vote du budget prévisionnel par l’assemblée générale des copropriétaires ainsi que la déchéance du terme, le président du tribunal de grande instance statuant comme en matière de référé peut condamner le copropriétaire défaillant au versement des provisions prévues à l’article 14-1 et devenues exigibles. L’ordonnance est assortie de l’exécution provisoire de plein droit
 ».

À l’origine de ce texte, certains plaidaient pour la création d’un « juge de la copropriété » qui aurait été spécialement dédié à cette matière afin de rendre dans des délais records des décisions particulièrement pertinentes.

Cette idée étant clairement utopique, faute de moyens, le législateur a tout de même accepté de créer une nouvelle procédure totalement inédite à l’époque, savoir le président du tribunal de grande instance « statuant comme en matière de référé ».

Cette « 3e voie procédurale » était censée conjuguer les avantages de la procédure au fond (la certitude d’obtenir une décision tranchant le litige) et de la procédure de référé (la rapidité).

Le mécanisme prévu était donc :

  • Le syndicat des copropriétaires met en demeure par LRAR le copropriétaire débiteur de régler ses dettes exigibles.
  • Si cette mise en demeure reste « infructueuse » pendant plus de 30 jours, la copropriété pouvait saisir le Président du TGI « statuant comme en matière de référé » pour le voir condamné à verser les provisions prévues par l’article 14-1 devenues exigibles, à la suite de cette lettre de mise en demeure.

La difficulté de ce texte est que cette nouvelle procédure spécifique ne pouvait être mise en œuvre que pour les provisions prévues par l’article 14-1 à venir ayant fait l’objet d’une déchéance du terme, et non pas pour la dette de charges antérieure à la lettre de mise en demeure.

En effet, dans un arrêt de principe en date du 22 septembre 2010, la Cour de cassation a indiqué :

« Le budget prévisionnel étant voté chaque année et les provisions versées par les copropriétaires ne concernant que l’année en cours et non les exercices précédents, la procédure de recouvrement prévue par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 n’est applicable qu’aux provisions dues pour l’année en cours et non à des charges dues pour les années précédentes » [1].

Dès lors cette procédure avait perdu à peu près tout intérêt, car il n’était pas envisageable en pratique de diligenter une procédure pour les « charges passées » et une autre pour les « charges futures ».

La loi Alur du 27 mars 2014 a simplement rajouté à ce texte :

« Si l’assemblée générale vote pour autoriser le syndic à agir en justice pour obtenir la saisie en vue de la vente d’un lot d’un copropriétaire débiteur vis-à-vis du syndicat, la voix de ce copropriétaire n’est pas prise en compte dans le décompte de la majorité et ce copropriétaire ne peut recevoir mandat pour représenter un autre copropriétaire en application de l’article 22 ».

La loi Elan du 25 novembre 2018 a quant à elle rajouté que ce texte était également applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l’article 14-2.

Enfin depuis le 1er janvier 2020, date d’applicabilité de l’ordonnance du 17 juillet 2019, l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 dispose qu’ :

« À défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision due au titre de l’article 14-1, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14-1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles.

Le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, après avoir constaté, selon le cas, l’approbation par l’assemblée générale des copropriétaires du budget prévisionnel, des travaux ou des comptes annuels, ainsi que la défaillance du copropriétaire, condamne ce dernier au paiement des provisions ou sommes exigibles.

Le présent article est applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l’article 14-2-1 ».

Cette procédure particulière ne vise donc plus que les charges « à venir », mais également les charges déjà exigibles. La difficulté originelle d’application de cet article a donc été corrigée.

Toutefois, force est de constater que cette nouvelle rédaction pose une nouvelle difficulté encore plus redoutable.

En effet, dans plusieurs décisions, le tribunal judiciaire saisi statuant selon la procédure accélérée au fond a considéré que la mise en demeure préalable n’était pas valable pour diverses raisons (lettre non communiquée à la juridiction, lettre mal rédigée, lettre adressée à une mauvaise adresse, etc.). Le cas échéant, les magistrats ont déclaré les demandes du syndicat des copropriétaires irrecevables soit les ont rejetées, et ce pour la totalité des charges sollicitées.

Un arrêt de la Cour d’appel de Rennes en date du 15 décembre 2022 est un exemple très clair de l’application par les juridictions de l’article 19-2 dans sa rédaction actuelle. Dans cet arrêt, la cour indique :

« Comme l’a justement relevé le premier juge, cette mise en demeure constitue de fait un acte préalable à une action de droit commun en paiement de charges et ne répond pas aux exigences de l’article 19-2 de la loi.
Elle ne précise pas, en effet, les provisions exigibles au titre de l’article 14-1 ou 14-2I de la loi de 1965 relatives à l’année en cours qui n’auraient pas été payées par M. [L], étant rappelé que les sommes dues au titre des exercices antérieurs ne constituent plus des provisions après approbation des comptes.
M. [L] n’était donc pas avisé précisément comme le requiert le texte de la somme dont il devait s’acquitter dans le délai de trente jours pour éviter l’exigibilité immédiate des provisions non encore échues et des sommes dues appelés au titre des années précédentes et ne disposait d’aucun moyen de déterminer à partir du seul montant énoncé les provisions impayées.
Dès lors, la cour confirme le jugement qui a débouté le syndicat de sa demande en paiement de la somme de 1 844,13 euros et de dommages et intérêts, dans le cadre de la procédure accélérée de l’article 19-2 de la loi du 11 juillet 1965, compte tenu de l’irrégularité de la mise en demeure » [2].

Et, cette erreur initiale se révèle malheureusement être irrattrapable.

En effet, la lettre de mise en demeure est la condition de recevabilité de cette procédure spécifique et elle doit être adressée au copropriétaire débiteur au moins 30 jours avant la délivrance de l’assignation.

Dès lors, il n’est pas possible d’adresser une nouvelle lettre de mise en demeure en cours de procédure afin de la régulariser a posteriori.

Une fois la décision défavorable rendue en première instance, le syndicat se retrouve dans l’impasse suivante :

  • Soit il laisse la décision devenir définitive et dès lors le rejet (ou l’irrecevabilité de sa créance) sera sous le sceau de l’autorité de la chose jugée, la procédure accélérée eu fond étant une procédure au fond comme son nom l’indique clairement.
  • Soit il interjette appel de la décision, mais si effectivement la lettre de mise en demeure préalable n’est pas valable, la cour ne pourra que confirmer la décision de première instance.

En outre, il demeure en suspens la question de savoir quelle signification donner aux termes « après mise en demeure restée infructueuse ».

En effet, diverses décisions de fond ont considéré qu’un simple paiement partiel, ou une démarche active du copropriétaire débiteur pendant le délai de 30 jours susvisé (notamment une simple demande d’échéancier refusé par la copropriété) visant à répondre à la mise en demeure, enlevait à la mise en demeure son caractère « infructueux ».

Dès lors, la juridiction saisie serait légitime, dans une telle acception du caractère « fructueux » de la mise en demeure, à considérer que celle-ci ne peut servir de base à une action fondée sur l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 et, dès lors, rejeter la totalité des demandes en paiement formulées.

De surcroît, et toujours afin de mettre en lumière les limites de cette procédure spécifique, nous avons récemment pu prendre connaissance d’une décision rendue en 1ère instance par le président du Tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre duquel le syndicat des copropriétaires requérant sollicitait l’actualisation de sa créance au titre de charges non visées dans la mise en demeure originelle, celui-ci considérant que :

« En effet, ce choix procédural d’une procédure accélérée au fond est distinct de celui de la procédure de recouvrement de charges et le président du tribunal judiciaire ne peut ni rendre immédiatement exigibles les appels de fonds provisionnels d’un autre exercice, ni un nouvel arriéré qui serait constitué par les appels de fonds qui étaient provisionnels au moment de la mise en demeure, mais qui sont devenus un réel arriéré au moment de la demande puisque ayant l’objet d’un budget adopté par l’assemblée générale postérieure.
Le syndicat des copropriétaires est donc débouté de sa demande ».

Cette jurisprudence récente, qui n’a pas été à notre connaissance confirmée en appel, interroge désormais, outre sur les embûches pratiques liées à cette procédure (cf. supra), désormais sur son efficacité puisqu’il est fréquent que les débiteurs opposent une défense et que l’action conduite devant les tribunaux s’étale sur plusieurs exercices comptables.

En vertu de cette décision, la mise en demeure viendrait donc cantonner le syndicat des copropriétaires aux seules réclamations visées par celle-ci, lui interdisant d’actualiser sa créance sauf à risquer le débouté pur et simple de ses demandes.

Par conséquent, cette procédure que certains ont présentée comme une « super procédure de recouvrement » peut assez facilement déboucher sur des difficultés supplémentaires pour le syndicat des copropriétaires, car celui-ci n’aura pas d’autre choix que de diligenter une action en responsabilité professionnelle à l’encontre de l’avocat qu’il avait missionné.

Enfin, il convient de rappeler qu’en pratique la durée de traitement des procédures accélérées au fond par les tribunaux judicaires n’est pas forcément beaucoup plus rapide qu’une procédure au fond classique, car elle est très variable en fonction de l’organisation de chaque tribunal, organisation qui est changeante et imprévisible.

Notes de l'article:

[1] Civ. 3e, 22 sept. 2010, pourvoi n° 09-16.678.
[2] CA Rennes, 15 déc. 2022, RG n° 22/00062.

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