La pause estivale n’a pas été de tout repos pour le droit de la copropriété, particulièrement à l’endroit des diagnostics et travaux de rénovation énergétique. En effet, la principale actualité trouve son origine dans un décret n° 2023-796 du 18 août 2023 tendant à modifier les articles 6 et 20-1 de la Loi du 6 juillet 1989. Notre équipe d’experts a analysé minutieusement ce texte réglementaire pour vous expliquer concrètement les évolutions opérées sur le diagnostic de performance énergétique (DPE).
De prime abord, le décret pourrait paraître assez ordinaire puisqu’il vient officialiser les délais légaux institués préalablement par la Loi « Climat et Résilience » du 22 juillet 2021 en France métropolitaine (art. 160) venant interdire à la location les logements les plus énergivores, considérés comme passoires énergétiques ou thermiques, en fonction de leur étiquette énergétique (art. 5 du décret) :
- Au 1er janvier 2025 pour les logements classés « G ».
- Au 1er janvier 2028 pour les logements classés « F ».
- Au 1er janvier 2034 pour les logements classés « E ».
Ce droit devient donc substantiellement plus coercitif à l’égard du propriétaire qui, à défaut de travaux de mise en conformité correspondant à l’étiquette énergétique minimale, ne pourra plus mettre en location son bien.
Plus encore, si un bail est en cours lors de l’échéance, le locataire pourra, sur le fondement de l’article 20-1 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, saisir le juge afin que ce dernier détermine la nature des travaux et ses délais d’exécution (en l’assortissant possiblement d’une astreinte).
Aussi, jusqu’à l’exécution des travaux de mise en conformité, le texte prévoit que la juridiction civile pourra réduire ou suspendre le montant du loyer, le paiement ainsi que la durée du bail.
« Le juge saisi par l’une ou l’autre des parties détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu’à l’exécution de ces travaux. Le juge transmet au représentant de l’État dans le département l’ordonnance ou le jugement constatant que le logement loué ne satisfait pas aux dispositions des premier et deuxième alinéas de l’article 6. » (al. 3, art. 20-1, Loi précitée).
Toutefois, et à rebours du discours politique sur le sujet, le Gouvernement va plus loin que fixer le calendrier préalablement établi puisqu’il prévoit une première vague d’exceptions pour les propriétaires qui ne respecteraient pas l’étiquette énergétique minimale requise.
En effet, plusieurs dérogations sont désormais prévues dans les textes : l’une déjà en vigueur, l’autre applicable à compter du 1er janvier 2025.
La première – méconnue du grand public et antérieure à ce décret (puisque prévu à l’article 160 de la Loi « Climat & Résilience ») – prévoit la faculté pour le juge de ne pas imposer la réalisation de travaux par le propriétaire d’un bien relevant du statut de la copropriété, dans deux hypothèses :
- Si le propriétaire « démontre que, malgré ses diligences en vue de l’examen de résolutions tendant à la réalisation de travaux relevant des parties communes ou d’équipements communs et la réalisation de travaux dans les parties privatives de son lot adaptés aux caractéristiques du bâtiment, il n’a pu parvenir à un niveau de consommation énergétique inférieur au seuil maximal« .
- Si le « logement est soumis à des contraintes architecturales ou patrimoniales qui font obstacle à l’atteinte de ce niveau de performance minimal malgré la réalisation de travaux compatibles avec ces contraintes» ( 160, Loi « Climat et Résilience »).
L’article 3 du décret du 18 août 2023 vient éclairer ces exceptions – relativement obscures en première lecture – afin de mieux comprendre les cas dans lesquels l’autorité judiciaire peut faire usage de cette prérogative, et ce à partir de la première échéance précitée, savoir le 1er janvier 2025 :
- En premier lieu, si les travaux nécessaires font courir un « risque de pathologie du bâti, affectant notamment les structures ou le clos et couvert des bâtiments, attesté par une note argumentée rédigée, sous sa responsabilité, par un homme de l’art « .
Autrement dit, si les travaux envisagés fragilisent la structure de l’immeuble, le propriétaire ne sera pas dans l’obligation de réaliser les travaux prescrits par les diagnostics. Toutefois, ce texte manque là encore significativement de clarté, et ce pour deux raisons :
D’une part, de nombreux travaux de rénovation peuvent entraîner des conséquences sur la structure de l’immeuble (les travaux d’isolation par l’extérieur, notamment) permettant alors de remplir aisément cette condition, conjuguée à un potentiel blocage procédural tiré du fait que dès lors que les travaux envisagés affectent les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble, ils doivent être votés par l’Assemblée générale des copropriétaires.
- D’autre part, le texte n’exige qu’une note argumentée par un homme de l’art. Cette disposition ne renvoie donc pas à un professionnel spécialisé – bénéficiant d’un agrément ou d’une assermentation étatique – pouvant donner lieu à certains arrangements officieux permettant au propriétaire de s’exonérer de sa responsabilité.
- En second lieu, si les travaux envisagés nécessitent des « autorisations d’urbanisme et/ou des permis de construire » qui ne sont pas accordés. À cet égard, le texte précise qu’il s’agit des travaux « entraînant des modifications de l’état des parties extérieures, y compris du second œuvre, ou de l’état des éléments d’architecture et de décoration de la construction« , qui ont fait l’objet d’un « refus d’autorisation par l’autorité administrative compétente« .
En pratique, cette législation exclut clairement de nombreux immeubles anciens situés à proximité de zones protégées par le Plan Local d’Urbanisme (PLU). Or, il est à peine besoin de rappeler que la ville de Paris demeure la première zone concernée dans la mesure où de nombreux immeubles se situent à proximité de sites ou monuments classés ou faisant l’objet d’une protection urbanistique particulière.
Ce constat permet d’ailleurs d’expliquer la réduction significative des autorisations d’urbanisme à Paris les six derniers mois, tous arrondissements confondus. En effet, sur 1 205 permis de construire et d’aménager, 860 ont été refusés, soit une baisse de plus de 70% (voir les statistiques sur le site de la Direction de l’Urbanisme de la Ville de la Paris).
Dès lors, il ne fait nul doute qu’en l’état du texte, de nombreuses copropriétés parisiennes seront concernées par cette exception puisque les travaux de rénovation énergétique (passant souvent par des travaux d’isolation par l’extérieur) feront l’objet d’un refus des autorités publiques permettant in fine la non-réalisation des travaux par le propriétaire.
Enfin, et dans la continuité du propos, le dernier alinéa de l’article 3 du décret dispose que :
« Le juge peut, notamment, surseoir à statuer dans l’attente de l’intervention de la décision de l’autorité administrative compétente pour autoriser la réalisation de ces travaux. ».
Ce dispositif témoigne clairement de l’immixtion des pouvoirs publics sur les copropriétés privées (qui peuvent déjà contraindre et procéder en lieu et place et aux frais du Syndicat des copropriétaires à la réalisation du PPPT et du DPE « collectif » : III, art. 14-2, Loi du 10 juillet 1965).
Toutefois, nous vous recommandons d’être extrêmement vigilants puisque le texte n’ayant pas encore été appliqué par les juges, son interprétation est susceptible de sensiblement varier.
En outre, cette décharge de responsabilité prononcée par le juge dans ce contentieux technique reste partielle puisque le décret intègre désormais les nouvelles étiquettes énergétiques du DPE (art. 173-1-1, Code de la construction et de l’habitation) ainsi que les échéances légales dans les critères caractérisant la décence d’un logement (décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent).
Concrètement, ce décret du mois dernier vient introduire la performance énergétique (matérialisée dans le DPE) dans les éléments constitutifs de la décence d’un logement (codifiés à l’article 3 bis du décret 30 janvier 2002). Dès lors, un logement qui ne respecterait pas l’étiquette énergétique minimale, aux échéances fixées, sera réputé indécent et ne pourra donc pas faire l’objet d’une mise en location en l’état sur ce fondement.
- La réponse à cette question semble, de prime abord, relativement simple. A la date effective de la mutation du lot, authentifié par l’acte notarié de vente, le propriétaire vendeur ne serait plus redevable des charges. Toutefois, la réponse s’avère en pratique plus complexe.
Cass. 3e Civ., 22 juin 2022, n° 21-12.022), mais aussi pénales, notamment pour mise en danger de la vie d’autrui ou pour soumission d’une personne vulnérable à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine (art. 225-14, Code pénal).
De plus, la responsabilité du Syndicat des copropriétaires pourra toujours être engagée lors de la survenance d’un dommage à l’encontre d’un copropriétaire ou d’un tiers, qui trouve son origine dans les parties communes de l’immeuble, pouvant se justifier par un manquement de travaux de rénovation sur la base du carnet d’entretien (pour plus de précisions, v. notre note en fin d’article).
- Dès lors, face à ces ambiguïtés textuelles, nous ne pouvons que vous recommander de procéder à la réalisation des diagnostics énergétiques et le cas échéant aux travaux de rénovation afférents dans les délais légaux afin de sécuriser vos baux et maintenir la valeur financière des lots.
Notre équipe d’experts reste extrêmement vigilante aux évolutions juridiques sur cette thématique afin de vous informer, avec clarté et réactivité, sur cette réglementation susceptible d’évoluer.
Nous restons naturellement à votre disposition vous accompagner dans vos projets de rénovation. N’hésitez pas à nous contacter et à diffuser cette lettre d’information !