Expulsion et exécution provisoire : les risques pour le bailleur
Les évolutions textuelles et jurisprudentielles en matière de baux témoignent d’une protection renforcée à l’endroit des locataires.
Retour sur une récente décision de justice qui rappelle les risques de procéder à l’exécution forcée d’une décision exécutoire, mais non définitive et ce notamment en matière de baux commerciaux.
Afin d’obtenir la résolution du contrat de bail – la plupart du temps en cas d’impayés de loyers – le bailleur doit diligenter une procédure en acquisition de la clause résolutoire (disposition contractuelle au terme le contrat de bail cesse de produire ses effets si le locataire ne respecte pas ses obligatoires). Ce dernier obtient donc du juge des référés une ordonnance prononçant l’expulsion.
Sur le fondement de cette décision judiciaire et aux fins d’en assurer l’exécution, le bailleur doit saisir un Commissaire de Justice (résultant de la fusion de l’huissier de justice et du commissaire-priseur) dans les plus brefs délais à l’effet de stopper l’« hémorragie locative ». Cette autorité délivre alors un commandement de quitter les lieux et à défaut de départ volontaire, après avoir obtenu le concours de la force publique, expulse.
D’ailleurs, passé un délai déterminé, si le locataire n’a toujours pas libéré les lieux, l’État (en l’espèce, le préfet) est tenu d’assurer le concours des forces de l’ordre pour l’expulsion. En cas d’inaction dans un délai raisonnable, le représentant de l’État engage sa responsabilité sur le fondement de l’article L153-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le bailleur pouvant donc, sur ce motif, exiger des dommages et intérêts :
« L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation. Les modalités d’évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d’exécuter une mesure d’expulsion sont précisées par décret en Conseil d’État ».
Mais, il ne faut pas perdre de vue qu’une telle exécution se fait toujours aux risques et périls du bailleur.
Dans un arrêt du 25 juin 2023, la Cour de cassation vient de le rappeler dans les termes suivants :
« 8. Il résulte, du premier de ces textes, que si la décision de justice, titre en vertu duquel l’exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent et, des deux derniers, que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu’au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré » [1].
Concrètement, la troisième Chambre civile rappelle que le bailleur est tenu de réparer toutes les conséquences dommageables qu’a pu entraîner l’exécution forcée du titre provisoire à l’égard du locataire.
En cas de réintégration impossible du locataire dans les locaux, celui-ci doit être indemnisé des dommages occasionnés par une impossibilité de jouir du local causé par un départ forcé.
A cet égard, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants du Code de commerce, un locataire évincé a droit à une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement de son bail commercial sur le fondement de l’article L145-14 du Code de commerce.
Pour rappel, l’indemnité d’éviction couvre dans l’hypothèse particulière de l’impossibilité de transfert du fonds, la perte de la valeur du fonds de commerce et a minima celle du droit au bail.
Dans le cadre cet arrêt, la juridiction suprême affine sa jurisprudence en rappelant également qu’en vertu de l’article L145-28 du Code de commerce, le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction, a droit jusqu’au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux et donc à une indemnisation au titre de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, que les juges devront évaluer selon le cas d’espèce.
En conclusion, le bailleur poursuit l’exécution jusqu’à son terme à ses risques et périls.
En cas de réformation, indépendamment de toute notion de faute, il est tenu de réparer le dommage.
Dans le cas de la poursuite de l’exécution provisoire d’une décision ultérieurement modifiée, le locataire pourra être indemnisé de la perte de son fonds de commerce, et des gains qu’il aurait obtenus s’il était resté en possession de son fonds de commerce.
Le bailleur doit dès lors s’interroger avant de mettre en œuvre une expulsion, au regard des risques de contestation possible, sauf à s’exposer à une indemnisation substantielle correspondant aux préjudices subis par le locataire.
Nous ne pouvons que vous rappeler que la responsabilité du mandataire est susceptible d’être engagée en cas de mise en œuvre d’une expulsion sans un accord exprès et éclairé du bailleur.