- « Trop payé, ne travaille jamais assez, considéré parfois comme corvéable sans discontinuité ».
L’ensemble de ces préjugés proférés parfois avec véhémence n’épargnent pas les gardiens et employés d’immeubles. Le harcèlement peut d’ailleurs s’exprimer avec encore plus d’acuité pour les concierges, au nombre de 64 500 en France métropolitaine selon les dernières statistiques de l’INSEE, puisqu’ils résident dans l’immeuble.
Existe-t-il des moyens juridiques pour se défendre et mettre un terme à ce type de situation ?
1) Les agressions verbales ou physiques, les injures ou propos grossiers d’un ou plusieurs occupants de l’immeuble dirigés contre un gardien ou un employé peuvent-ils donner lieu à des sanctions juridiques ?
Les gardiens et employés d’immeubles sont juridiquement des salariés de la copropriété, employés par le Syndicat des copropriétaires et rattachés fonctionnellement au syndic. Dès lors, les dispositions du Code du travail, y compris celles liées au harcèlement, s’avèrent pleinement applicables à ces agents.
Conformément à l’article L. 1152-1 du Code du travail :
- « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ».
L’applicabilité de cette disposition est d’ailleurs expressément consacrée aux articles L. 7211-2 et L. 7211-3 du Code du travail, dédiés à la profession.
Le premier article confirme la nature juridique de salariés pour les gardiens d’immeuble :
- Est considérée comme concierge, employé d'immeubles, femme ou homme de ménage d'immeuble à usage d'habitation, toute personne salariée par le propriétaire ou par le principal locataire et qui, logeant dans l'immeuble au titre d'accessoire au contrat de travail, est chargée d'en assurer la garde, la surveillance et l'entretien ou une partie de ces fonctions.
Tandis que l’alinéa premier de la seconde disposition indique que les dispositions de droit commun propres aux harcèlements – qu’il soit moral ou sexuel – sont pleinement applicables à cette catégorie juridique :
-
« Au harcèlement moral prévu aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel prévu aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2;
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » (L. 7211-3)
Ainsi, à la lecture combinée de ces textes, le cadre juridique régissant le harcèlement moral repose sur la réunion de trois conditions : des agissements de harcèlement moral, qui font l’objet de répétitions, conduisant à une dégradation des conditions de travail de l’agent, à sa dignité ou à sa santé physique ou mentale.
Concernant le harcèlement sexuel, le texte exige similairement un triptyque de conditions : des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui font l’objet de répétitions et qui portent atteinte à la dignité ou tendent à créer une situation intimidante, hostile ou offensante à l’endroit du salarié (art. L. 1153-1, Code du travail).
Au regard de la largesse et la clarté rédactionnelles de ces textes, il semblerait que la Loi protège efficacement la profession de toute forme de harcèlement.
Toutefois, le régime procédural et le cadre jurisprudentiel viennent restreindre le champ d’application de ces dispositions dans le cadre d’un éventuel procès.
En premier lieu, s’agissant de la procédure, l’article L. 1154-1 du Code du travail fait peser sur le gardien une charge probatoire importante.
Pour cause, le texte précise que dans le cadre d’un litige relatif aux harcèlements moral et sexuel, le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Concrètement, si le gardien d’immeuble décide de diligenter une action en justice, il devra fournir des preuves matérielles tangibles, appréciées in concreto par le juge.
- En second lieu, concernant la jurisprudence, le contentieux abondant en la matière permet de dégager quelques règles importantes à respecter dans cette hypothèse :
- Les éléments fournis par le demandeur doivent être précis et circonstanciés. La seule production de courriers rédigés par le gardien ne comportant aucun fait précis ne permet pas de caractériser un harcèlement, dès lors que le demandeur ne précise aucune circonstance de lieu et de temps (CA Paris, 25 janvier 2017, n° 15/07052).
- Le salarié de la copropriété doit justifier d’une réitération réelle des agissements. Il est à noter que l’autorité judiciaire apprécie strictement cette condition. C’est ainsi qu’elle a considéré que deux agissements injustifiés donnant lieu à une sanction disciplinaire ne constituent pas, en l’état, des agissements répétés de nature à ce que le harcèlement moral soit avéré (CA Aix-en-Provence, 8 juin 2023, n° 20/06274).
Dans le même sens, le juge a pu considérer que le fait que les allégations du gardien ne reposent que sur un témoignage relatant « de façon peu circonstanciée une pression disproportionnée» ne suffit pas à justifier un harcèlement moral (CA Aix-en-Provence, 25 nov. 2021, n° 20/11155).
- Les faits de harcèlement doivent être commis – ou à tout le moins soutenus – par l’employeur du salarié, savoir le Syndicat des copropriétaires. Ainsi, des propos déplacés tenus par un membre du Conseil syndical ne constitue pas un fait de harcèlement, puisque « les faits dénoncés par M. Y ont été commis par un tiers qui n’exerçait pas de fait ou de droit, pour le compte de l’employeur, une autorité sur l’intéressé, en l’espèce Mme E-L, même si elle était membre du conseil syndical.» (CA Aix-en-Provence, 25 nov. 2021, n° 20/11155)
Toutefois, il convient de nuancer cette position des juges du fond, puisqu’aucune décision de la Cour de cassation n’est venue, pour lors, entériner cette position.
Par conséquent, l’employé du syndicat se doit de communiquer des preuves matérielles circonstanciées, à l’appui de plusieurs témoignages, pour que le juge puisse apprécier la proportionnalité de l’atteinte.
2) Au regard des contraintes en droit civil, existe-t-il une autre voie juridique ?
À l’instar des gestionnaires de copropriété harcelés, le gardien pourra emprunter un autre terrain juridique pour régler le litige, à savoir le droit pénal.
Aux termes de l’article 222-33-2-2 du Code pénal :
- « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail. »
3) Quel est l’organe responsable : le Syndic ou le Syndicat de copropriétaires ?
Le gardien ou l’employé d’immeuble répond à un statut assez particulier dans la copropriété, y compris au regard du droit du travail. Si ce dernier est fonctionnellement et hiérarchiquement rattaché au syndic (notamment dans le recours au pouvoir disciplinaire en cas de faute commise), son employeur reste le Syndicat des copropriétaires. Ce régime procède de la lecture combinée de deux articles :-
L’article 31 du décret n°67-223 du 17 mars 1967 selon lequel le Syndic « engage et congédie le personnel employé par le syndicat et fixe les conditions de travail suivant les usages locaux ».
L’article 1er de la Convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d’immeubles (modifié par un avenant du 27 avril 2009) en vertu duquel « lorsqu’un immeuble est placé sous le régime de la copropriété, l'employeur est le syndicat des copropriétaires»
En clair, le syndic n’intervient à l’égard du gardien qu’en qualité de mandataire du Syndicat.
Par suite, en cas de procès dirigé contre la copropriété, le gardien devra assigner au principal le Syndicat des copropriétaires qui, en cas d’issue favorable, sera chargé de la réparation du préjudice au civil et du paiement de l’infraction au pénal.
C’est ainsi que plusieurs décisions viennent condamner le Syndicat, principalement pour des faits de harcèlement conduisant à une atteinte à la dignité du salarié.
En outre, si le salarié doit apporter au dossier des preuves concrètes de cette atteinte, c’est à la partie défenderesse (le Syndicat) qu’il incombe de prouver « que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision s’avère justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (al. 2, art. L.1154-1 Code du travail).
Autrement dit, le Syndicat ne se retrouve pas affranchi de toute responsabilité, puisqu’il devra factuellement prouver que les agissements pour lesquels il est assigné répondent à des éléments objectifs reliés aux fonctions du gardien.
Or, en cas d’injures ou de menaces verbales, il apparaît impossible pour ce dernier de justifier que ces agissements reposent sur des éléments objectifs. C’est ainsi que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a considéré que « le syndicat des copropriétaires ne démontre pas pour autant que la virulence des critiques exprimées à l’encontre [du gardien] et le dénigrement de son travail sont justifiés par des éléments objectifs » dans la mesure où le salarié « n’a fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire et qu’aucun procès-verbal de conseil syndical ou d’assemblée générale n’évoque un mécontentement des propriétaires dans leur ensemble quant au travail [du gardien] » (CA Aix-en-Provence, 8 déc. 2016, n° 14/185997).
- De surcroît, le syndic ne doit pas s’exclure de la procédure puisque ce dernier peut être réputé responsable par le juge sur le fondement de son obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale du travailleur, prévue à l’article L. 4121-1 du Code du travail.
- Dans cette configuration, nous vous conseillons de prioriser la voie amiable et, en dernier recours, d'intenter une action contentieuse en suivant la procédure ci-après :
1. – Si le gardien ou l’employé d’immeuble supporte des agissements répétés de harcèlement, il convient de le référer dans les plus brefs délais au syndic, en y mentionnant les faits avec exactitude.
2. – Le cas échéant, le syndic doit prendre acte de ces agissements et mettre en demeure les auteurs de ce harcèlement de cesser immédiatement leurs agissements répréhensibles. Nous vous recommandons dans vos lettres d’y faire figurer les risques juridiques (civil et pénal) auxquels s’exposent ces personnes.
3. – Il est recommandé au syndic de maintenir des correspondances écrites régulières avec le gardien, pour s’assurer que le litige a été résolu ou, a contrario, que ce dernier persiste. Le cas échéant, il conviendra d’indiquer expressément au gardien de ne pas répondre à ces actes ou de commettre une faute. En effet, la faute du gardien constitue une « excuse libératoire », pouvant servir aux copropriétaires pour justifier leurs actes
(CA Paris, 23 nov. 2010, n° 17/19474).
4. – En cas de persistance de la situation, il convient d’inscrire à l’ordre du jour de la prochaine Assemblée générale une résolution afin d’habiliter le syndic à diligenter une action contentieuse. En effet, depuis un arrêt de la Cour de cassation du 20 septembre 2018 obtenu par notre cabinet, le Syndicat dispose d’un intérêt à agir lui permettant d’assigner les auteurs des faits de harcèlement moral dirigé contre le gardien
(Soc., 20 sept. 2018, n° 17-10901).
5. – En cas de refus des copropriétaires réunis en Assemblée, le syndic aura répondu à toutes ses obligations juridiques. Afin de prévenir tout risque d’action récursoire, il est recommandé que ce dernier conseille et accompagne le gardien tout au long de la procédure.
Notre équipe reste naturellement à votre disposition pour vous conseiller et, le cas échéant, vous accompagner dans ses démarches visant à juguler ce type de problématique.