- Qu’il soit scolaire, professionnel ou numérique, le harcèlement gangrène nos rapports sociaux. Les copropriétés ne sont malheureusement pas épargnées par ce fléau, puisque de nombreux gestionnaires subissent ce genre d'agression, pouvant conduire à de graves difficultés professionnelles et/ou de santé, constituant d’ailleurs une des explications au turn-over grandissant dans la profession.
Existe-t-il des moyens juridiques pour se défendre et mettre un terme à ce type de situation ?
Notre équipe vous apporte des éclairages afin de mettre fin à ce côté obscur de la copropriété.
1) Les agressions verbales, injures, menaces ou comportements grossiers d’un ou plusieurs copropriétaire(s) à l’encontre d’un gestionnaire peuvent-ils donner lieu à des sanctions juridiques ?
Il convient d’abord de s’intéresser aux dispositions applicables aux gestionnaires de copropriété.
Il existe principalement deux voies juridiques qu’un gestionnaire pourra, d’abord, soulever en réponse au copropriétaire virulent, puis diligenter devant le juge en cas de persistance des comportements déviants.
D’une part, le terrain qui apparaît de prime abord le plus évident : le droit pénal.
Pour cause, conformément à l’article 222-33-2 du Code pénal :
- « Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail ».
En d’autres termes, si un gestionnaire arrive à établir la causalité entre des correspondances écrites ou d’enregistrements téléphoniques (sous réserve que ce dernier l’ait mentionné préalablement en vue d’éviter tout risque d’irrecevabilité de la preuve) et sa dégradation de santé et/ou de ses conditions de travail, il pourra déposer une plainte afin qu’une enquête judiciaire soit instruite, pouvant conduire à l’engagement d’un procès.
En revanche, il n’est pas possible de se baser sur les dispositions de l’article L. 1152-1 du Code du travail qui dispose que :
- « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Cette inapplicabilité a été précisée par un arrêt du 28 mars 2017 de la Cour de cassation, à propos d’une affaire concernant un gardien d’une copropriété harcelé par un copropriétaire, membre du Conseil syndical de la résidence. Dans cette décision, la Haute juridiction a considéré que l’infraction de harcèlement en copropriété ne peut être caractérisée que dans le cadre d’une relation de travail :
- « Attendu que pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef de harcèlement moral ni d'aucun autre chef, l'arrêt relève que le délit de harcèlement moral issu de la loi de modernisation sociale du 17 février 2002 n'a vocation à s'appliquer qu'aux faits commis dans le cadre d'une relation de travail ; que les juges ajoutent que M. [G] n'étant ni l'employeur, ni un collègue de travail de la plaignante, mais un utilisateur des services de celle-ci, les dispositions de l'article 222-33-2 du code pénal ne peuvent s'appliquer, les faits reprochés à M. [G] par Mme [W] ne s'inscrivant pas dans une relation de travail.» (Cass. Crim, 28 mars 2017, n° 15-86.509).
- Par conséquent, les gestionnaires de copropriété qui exercent leurs fonctions pour le compte de leur employeur syndic n’ont juridiquement aucun lien de travail avec les copropriétaires dont ils assurent l’administration de leurs biens.
Une seconde alternative juridique est envisageable sur le fondement de la responsabilité délictuelle. En effet, conformément à l’article 1240 du Code civil, est admis de sanctionner le harcèlement subi par les gestionnaires de copropriété.
Toutefois, là encore, en pratique, aucune jurisprudence ne s’est encore prononcée sur ce cas précis et, ce, pour une raison clairement identifiable.
Paradoxalement, les actions en justice sont souvent introduites par les copropriétaires harceleurs qui cherchent à engager la responsabilité professionnelle du Syndic du fait de manquements à ses missions. C’est alors dans une position de défendeur que le gestionnaire se trouve à justifier le harcèlement subi. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 8 avril 2015 est d’ailleurs éloquent à cet égard puisque ce dernier a considéré que :
- « Le défaut de réponse du syndic aux correspondances de Mlle [K] [D] n’est pas fautif du fait de la teneur obsessionnelle et oiseuse des réclamations exprimées dans ces correspondances et que ce silence n’a pu causer aucun préjudice à celle-ci ; » (CA Paris, 8 avril 2015, n° 12/12846).
Deux éléments doivent être tirés de cette décision :
- Le harcèlement commis par un copropriétaire peut être sanctionné sur le terrain de la responsabilité délictuelle, donnant lieu à une réparation civile des préjudices subis par le salarié du Syndic.
- Le fait que le gestionnaire ne réagisse pas aux sollicitations abusives constitue un élément de bonne foi permettant de corroborer le harcèlement du copropriétaire.
2) Dans cette hypothèse, que doit faire concrètement le gestionnaire ?
Dans cette configuration, nous vous conseillons de prioriser la voie amiable et, en dernier recours, d’intenter une action contentieuse en suivant la procédure ci-après :
- Ne répondre au copropriétaire que sur les demandes pertinentes relatives à ou plusieurs prestations relevant du portefeuille du Syndic, en ignorant les injures ou, plus largement, tout type de propos grossiers vociférés par le copropriétaire.
- Conserver ces éléments afin d’établir un recueil de preuves et en référer à sa hiérarchie.
- En cas de réitération, saisir la direction de l’agence afin que cette dernière puisse répondre au copropriétaire – en lieu et place du gestionnaire – en faisant mention des différents fondements juridiques applicables précités et des risques judiciaires auxquels il s’expose. Il convient de rappeler à ce sujet que l’employeur est tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (article L. 4121-1 du Code du travail). L’employeur ne doit pas seulement diminuer le risque, mais l’empêcher. Cette obligation est une obligation de résultat (Cour de cassation, chambre sociale, 22 février 2002).
- Dans le cas où la situation continue de s’envenimer, mandater un Commissaire de justice afin qu’il puisse dresser un procès-verbal de constatation. Ces éléments permettront de constituer un dossier solide visant à obtenir une réparation civile des dommages endurés.
3) Quid des publications diffamatoires sur les réseaux sociaux ou affichées sur les parties communes ?
Une dernière hypothèse doit être examinée à propos des actes de harcèlement qui prennent désormais de nouvelles formes, tels que la publication sur les réseaux sociaux de propos tendant à dénigrer les compétences d’un gestionnaire jusqu’à la publication au sein des parties communes d’une plainte déposée par un gestionnaire à l’encontre d’un copropriétaire faisant figurer de nombreuses informations personnelles.
Dans cette situation, le cadre juridique se révèle beaucoup plus clair puisqu’il procède de l’article 29 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, selon lequel :
- « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
Ici, la Cour de cassation adopteune conception favorable à la protection des gestionnaires des Syndics puisque – contrairement à l’infraction pénale de harcèlement – la diffamation n’exige pas de réitération des faits. La responsabilité du copropriétaire quérulent est, à ce titre, plus facilement caractérisée.
C’est ainsi que dans un arrêt du 25 novembre 2010, la Cour de cassation a condamné les copropriétaires concernés au paiement de la somme de 2 500 euros pour réparation des préjudices auprès d’une gestionnaire harcelée, au motif que « les propos relevés, diffusés auprès de plusieurs copropriétaires, imputant à Mme Y… des faits mettant en cause sa compétence, son honnêteté et l’accusant de transgresser les lois et règlements, portaient atteinte à sa considération et constituaient donc des diffamations, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». (Cass. Civ. 1er, 25 novembre 2010, n° 10-10.732).
Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que les copropriétaires avaient « franchi les limites normales et acceptables du droit de chacun des copropriétaires de critiquer la gestion de la copropriété par le syndic ».
- Concernant l’affichage de propos diffamatoire au sein des parties communes, là encore le cadre juridique est univoque. À première vue, on pourrait penser que dans la mesure où ces parties constituent des parties privées, elles ne répondent pas au critère d’injure au sein d’un lieu public, au sens de l’article 23 de la Loi précitée. En pratique, il n’en est rien.
- En effet, dans un arrêt du 8 avril 2014, la Cour de cassation a considéré que les propos outranciers et menaçants par un copropriétaire au sein d’un hall d’immeuble - partie commune en principe – sont considérés, par voie d’exception, comme des injures dans un lieu public puisque ces derniers ont été « tenus dans une cour d'immeuble qui comporte seize appartements et à laquelle le public a accès, suffisamment fort pour être entendus par le public ; que le caractère public des propos doit en conséquence être retenu (…) »
(Cass. Crim, 8 avril 2014, n° 12-87.497).
- Concernant la publication de propos outranciers sur les réseaux sociaux ou sur tout autre espace numérique, le raisonnement s’avère identique au regard
d’une lecture combinée des articles 23, 32 et 33 de la Loi du 29 juillet 1881.En effet, les articles 32 et 33 prévoient que toute injure ou diffamation commise envers un particulier (le gestionnaire de copropriété, en l’espèce) sera punie – en plus de la réparation du préjudice – d’une amende civile de 12 000 euros. Le texte prend le soin de préciser que ces actes doivent être commis par l’un des moyens énoncés à l’article 23, incluant « tout moyen de communication au public par voie électronique».
Ainsi, toute publication diffamatoire ou injurieuse affichée au sein des parties communes ou postée en ligne pourra être sanctionnée sur le fondement de la Loi sur la liberté de la presse.
Néanmoins, il convient de préciser que cette Loi prévoit des règles spéciales de prescription. Sur le fondement de son article 65, l’action civile se voit prescrite « après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait. » (Cass. Civ. 1er, 25 novembre 2010, n° 10-10.732).
Dès lors, dans cette hypothèse, nous recommandons aux gestionnaires de déposer une plainte auprès des forces de l’ordre le plus tôt possible après la connaissance des faits afin d’éviter l’effet couperet de ce délai de prescription très court.
Notre équipe reste naturellement à votre disposition pour vous conseiller et, le cas échéant, vous accompagner dans ses démarches visant à juguler ce type de problématique.