L’obligation de délivrance incombant au bailleur au regard de la destination du bail commercial.

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L’obligation de délivrance incombant au bailleur au regard de la destination du bail commercial.

Me Martine FONTAINE - Avocat Collaborateur - Cabinet Audineau & Associés - Avocats spécialistes du droit immobilier
Par Xavier Guitton et Martine Fontaine, Avocats.
22 mai 2024

Un bail commercial est un contrat qui engage lourdement tant le preneur que le bailleur par des obligations réciproques. Si l’obligation essentielle pour le locataire est le paiement du loyer, celle pour le bailleur est la délivrance du local loué.
Cette obligation de délivrance est une obligation qui résulte de la nature même du contrat de louage. Il n’existe pas de définition précise de l’obligation de délivrance dans le statut des baux commerciaux, ni dans le droit commun des baux.
Pour autant, les manquements à l’obligation de délivrance sont sanctionnés sévèrement par les Tribunaux, notamment par la condamnation du bailleur à la réalisation de travaux, par la suspension judiciaire du paiement des loyers et charges accordé au preneur, par la résolution du bail aux torts exclusifs du bailleur et/ou par l’octroi de dommages et intérêts au preneur.

Au sommaire de cet article…

1) Sur les caractéristiques de l’obligation de délivrance du local loué.

2) Sur les clauses dérogatoires du bail.

1) Sur les caractéristiques de l’obligation de délivrance du local loué.

En l’espèce, il convient de se référer à l’article 1719 du Code civil lequel prévoit :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée… ;
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ; (….) ».

L’article 1720 du Code civil prévoit quant à lui que :
« Le bailleur est tenu de délivrer la chose en bon état de réparations de toute espèce.
Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ».

L’obligation de délivrance implique dès lors :

  • Une mise à disposition qui s’opère généralement par la remise des clés.
  • Une mise en état conforme de la chose louée, le bien devant pouvoir être exploité par le preneur conformément à la destination envisagée dans le bail.
  • La garantie assuré par le bailleur d’une jouissance paisible par le preneur pendant la durée du bail.

Cela suppose que le bien loué mis à disposition dispose des caractéristiques physiques (matérielles et fonctionnelles) et juridiques permettant d’exercer effectivement l’activité stipulée au bail.

Ainsi et principalement, au titre de son obligation de délivrance, le bailleur doit délivrer des locaux conformes à leur usage [1].

La destination du bail aura donc une incidence toute particulière sur le respect par le bailleur de son obligation de délivrance.

À ce sujet, il convient de rappeler que la destination des lieux est librement convenue par les parties lors de la conclusion du bail et que la destination des lieux est déterminée non par l’usage que le locataire a pu faire de la chose louée, mais par les stipulations du bail.

Il convient également de rappeler cette obligation de délivrance perdure tout au long du bail et de ses renouvellements [2].

Ainsi, d’un point de vue physique, il est régulièrement jugé que la délivrance conforme à la clause de destination du bail commercial oblige le bailleur à réaliser les travaux nécessaires, notamment ceux exigés par l’administration [3].

Ainsi, d’un point de vue de la délivrance juridique, les lieux doivent être à usage commercial, de telle sorte que l’autorisation administrative de changement d’usage des locaux d’habitation doit être obtenue par le propriétaire avant la signature du bail et le locataire ne peut pas faire son affaire personnelle de cette obtention [4].

Dans un arrêt récent en date du 12 octobre 2023 (n°22-16.175), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé, alors que le bailleur contestait la réalisation par le preneur d’un conduit d’extraction sans autorisation, que :

« 8. La cour d’appel, ayant relevé que le bailleur qui a donné son accord au changement de la destination des locaux du [Adresse 1] de la rue et consenti à la société Caves Mura, un bail stipulant que ceux-ci sont à destination de « restaurant – salon de thé », qui a accepté les travaux destinés à réunir les locaux mitoyens des deux immeubles au profit de la locataire, a exactement retenu, peu important le fait que la cuisine soit installée dans les locaux de l’immeuble contigu, que le bailleur était tenu dès l’origine du bail de délivrer à sa locataire un local conforme à sa destination contractuelle de restaurant, ce qui supposait l’installation d’un conduit d’évacuation des vapeurs et fumées  ».

La jurisprudence a l’occasion très régulièrement de se prononcer en ce sens – à titre d’exemples – encore pour :

  • L’impossibilité matérielle de réaliser les travaux nécessaires à la destination du local : activité prévue au bail qui se heurtait aux dispositions du plan d’occupation des sols [5].
  • Le défaut de permis de construire [6].
  • La remise en état des lieux après un dégât des eaux ayant eu pour conséquence l’arrêt d’exploitation du preneur [7].
  • Le système d’extraction des fumées non conforme aux normes de sécurité [8].

2) Sur les clauses dérogatoires du bail.

Il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que la clause d’un bail commercial stipulant que le preneur prend « le local dans l’état où il se trouve au jour de son entrée en jouissance » n’exonère pas le bailleur de son obligation de délivrance [9].

Les aménagements contractuels de l’obligation du locataire d’entretenir la chose louée et donc, les clauses de transfert de charges à ce titre, sont à examiner au regard de l’obligation de délivrance du bailleur, qui est d’ordre public.

La jurisprudence élargit de plus en plus cette notion d’obligation de délivrance pour écarter les clauses dérogatoires du bail commercial.

Avant comme après la loi dite PINEL, avant comme après la réforme du droit des contrats, la Cour de cassation rappelle la nécessité d’une clause claire et précise du bail commercial ou un accord non équivoque pour permettre au bailleur d’imposer au preneur la prise en charge de travaux.

La pratique faisant preuve de beaucoup d’imagination, une jurisprudence abondante en la matière existe et sanctionne régulièrement au nom de l’obligation de délivrance les tentatives de transfert de la charge des travaux et ce tout au long du bail.

En conclusion,

  • Hors l’hypothèse du comportement fautif du preneur, même en l’absence de stipulations particulières du bail et a fortiori en présence de telles clauses, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au locataire la chose louée, de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée.
  • Le bailleur doit s’attacher à rédiger avec clarté et précision, les clauses et conditions du bail initial, de ses avenants et/ou renouvellements, et notamment celles ayant un impact sur son obligation de délivrance et davantage encore lorsque les lieux loués sont situés dans une copropriété, et ce, en raison de l’interprétation restrictive des tribunaux.
  • Le bailleur doit être vigilant tout au long de la vie du bail en cas d’exécution de travaux affectant les lieux loués à son initiative ou de tiers (notamment de Syndicats de copropriétaires lorsque le bien est situé dans une copropriété) ; de tels travaux pouvant générer des désordres et des préjudices (matériel et immatériel dont troubles de jouissance et perte de chiffres d’affaires) pour le preneur qui pourra alors rechercher la responsabilité du bailleur au titre de son obligation de délivrance.

Il convient enfin de rappeler que la responsabilité du mandataire (gérant locatif) est susceptible d’être engagée s’il n’attire pas l’attention du Bailleur sur l’impropriété totale ou partielle du bien à la location, notamment lorsqu’il aura été le rédacteur du bail [10].

Notes de l'article:

[1] Cass. civ. 3e, 31 octobre 2012 n° 11-12970.
[2] Cass. civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21.890.
[3] Cass. civ. 3e, 3 mai 2011, n° 10-15662 F-D ; Cass. civ. 3e, 14 février 2012, n°11-10243 F-D ; Cass. civ. 3e, 4 juillet 2019 n°18-17.107.
[4] Cass. civ. 3e, 10 juin 2015 n° 14-15.961.
[5] Cass. civ. 3e, 2 juill. 1997, no 95-14.151.
[6] Cass. civ. 3e, 1er juin 2022, n° 21-11.602.
[7] Cass. civ. 3e 18 mars 2009, no 08-11.011.
[8] Cass. civ. 3e, 11 avril 2019, 18-13.558.
[9] Cass. civ. 3e, 5 juin 2002 n° 00-19037 FS-PB ; Cass. civ. 3e, 20 janv. 2009, n° 07-20.854 ; Cass. civ. 3e, 11 octobre 2018 n°17-18553.
[10] Cour d’appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 11 mai 2011, n° 09/21315.

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