Obligation de relogement et droits du propriétaire-bailleur : attention, ça bouge !

Audineau & Associés | Nos Publications | Obligation de relogement et droits du propriétaire-bailleur : attention, ça bouge !
Me Eric Audineau - Equipe

Obligation de relogement et droits du propriétaire-bailleur : attention, ça bouge !

Par Me Eric Audineau
19 juin 2019

Si le locataire peut à tout moment – sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu – mettre fin à son bail, il n’en va pas de même du propriétaire.

Le locataire peut, à tout moment, sous réserve simplement de respecter un délai de préavis (d’un mois à 3 mois), mettre fin à son bail.

Le bailleur, en revanche, ne peut s’opposer au renouvellement du bail qu’il a consenti, qu’en délivrant un congé dans des conditions strictement réglementées par l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, uniquement à l’échéance du bail et pour des causes limitativement prévues par la loi et dument motivées :

  • la reprise du logement ;
  • la vente du logement ;
  • un motif légitime et sérieux.

De surcroît, et, quelle que soit la nature du congé, outre les conditions de forme à respecter, l’article 15 III de la loi du 6 juillet 1989 prévoit une obligation de relogement pour des locataires dits « protégés », source de difficultés certaines pour le bailleur qui entend donner congé.

La loi impose toutefois au locataire qui prétend être déclaré « protégé » la réunion de manière cumulative de deux critères, reposant sur l’âge d’une part, à savoir 65 ans, et, d’autre part, un plafond de ressources.

Ainsi, si la situation du locataire est connue du bailleur (ce qui est rarement le cas, notamment sur le plan des ressources), celui-ci peut formuler l’offre de relogement dans le congé délivré.

Si le bailleur ne vient à connaître du caractère « protégé » de son locataire, il est admis qu’il puisse formuler son offre de relogement postérieurement à la délivrance du congé, à condition qu’elle intervienne en tout état de cause avant le terme du bail [1].

La loi prévoit que le bailleur est en revanche dispensé de formuler une telle offre s’il remplit au moins un des deux critères précités applicables à son propre locataire.

Toutefois, pour le bailleur, ces critères ne sont pas cumulatifs et la justification de l’un d’eux suffit à lui permettre de bénéficier de la dispense d’avoir à proposer un relogement à son locataire.

Dans le même sens, en cas de pluralité de bailleurs, il suffit que l’un d’entre eux remplisse les conditions d’âge [2] ou de ressources [3] pour bénéficier de cette même dispense.

S’agissant de l’offre de relogement, il doit s’agir d’un logement correspondant aux besoins et possibilités du preneur.

A ce sujet, la 3e Chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé le 30 mars dernier devant le Conseil constitutionnel une Question Prioritaire de Constitutionalité (QPC) portant sur l’article 15, III de la loi du 6 juillet 1989 [4].

En l’espèce, le bailleur poursuivait le locataire en validation de congé et a demandé le renvoi au Conseil Constitutionnel de la Question Prioritaire de Constitutionnalité suivante :

« L’article 15, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, en ce qu’il impose au bailleur personne physique qui justifie d’un motif légitime de reprendre son bien pour l’habiter, de proposer à son locataire âgé de plus de 65 ans et ne disposant que de faibles revenus, un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités dans des limites géographiques déterminées, porte-t-il atteinte au droit de propriété consacré à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, compte tenu de l’impossibilité pour le bailleur, lorsque le bail est ancien et que le logement se situe dans une zone où les loyers sont excessivement élevés, de proposer un tel logement, faute qu’il s’en trouve sur le marché locatif privé » ?

La Cour de cassation a jugé la question nouvelle et comme présentant un caractère sérieux en ce que :

« 7. En premier lieu, la disposition contestée en ce qu’elle impose au bailleur, qui entend s’opposer au renouvellement du bail, en délivrant congé à un locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond, de lui proposer un relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique strictement défini, porte atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété du bailleur.

8. En second lieu, cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que l’état du marché locatif dans le secteur concerné est susceptible de rendre impossible la soumission par le bailleur, personne privée, d’une offre de relogement correspondant aux possibilités de locataires dont les ressources sont inférieures au plafond pour l’attribution de logements locatifs conventionnés ».

Par une décision n° 2023-1050 QPC du 26 mai 2023, le Conseil Constitutionnel devait se prononcer sur la proportionnalité entre cette obligation et l’atteinte qui pouvait en découler sur le droit de propriété du bailleur concerné.

Les bailleurs attendaient de cette décision une prise de position favorable à la préservation de leurs intérêts dans le cadre de la gestion de leur patrimoine à long terme.

En effet, lorsque le bail a été conclu de longue date et que le bailleur donne alors congé, il peut être confronté à de graves difficultés, si ce n’est à une impossibilité, en devant répondre aux impératifs que la loi lui assigne en se voyant imposer de trouver un logement bon marché dans un secteur soumis à une forte tension.

La décision du Conseil Constitutionnel ne s’est pourtant pas avérée favorable aux intérêts des bailleurs, considérant que : « 15. Les difficultés pratiques que pourrait rencontrer le bailleur pour formuler une offre de relogement situé dans ce périmètre n’entachent pas, par elles-mêmes, d’inconstitutionnalité les dispositions contestées ».

Pour justifier sa décision, le Conseil Constitutionnel rappelle toutefois que cette obligation de relogement est strictement encadrée et que le bailleur bénéficie d’une dispense en fonction de sa propre situation, notamment :

« 13. En deuxième lieu, ces dispositions ne sont applicables que lorsque le locataire est âgé de plus de soixante-cinq ans et que ses ressources annuelles sont inférieures à un certain plafond […] ».
« 16. En quatrième lieu, cette obligation n’est pas applicable lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de soixante-cinq ans ou lorsque ses ressources annuelles sont inférieures au même plafond que celui fixé pour les locataires ».

Alors que l’environnement juridique et les obligations à la charge du bailleur apparaissent toujours plus lourdes, il convient de rappeler à nouveau que la responsabilité du mandataire pourrait être engagée en cas d’invalidation d’un congé pour ce motif lié à la préparation du congé et à sa mise en œuvre.

Cette solution se révèle, au-delà de l’analyse en droit, éminemment pratique.

Concrètement, il convient, bien en amont de la délivrance du congé, de se référer au bail consenti afin de vérifier les informations liées à l’état civil du locataire qui pourront y être mentionnées. Le bailleur et, à plus forte raison, son mandataire gérant locatif devra, dès lors, s’assurer avant de délivrer un congé que :

  • Le locataire ne soit pas susceptible d’être considéré comme un locataire « protégé » ;
  • Ou que le bailleur puisse être exonéré de cette obligation de relogement.

Pour ce faire, il convient de se référer au tableau mis à jour annuellement par les pouvoirs publics fixant les seuils de ressources, qui viennent en sus de la condition d’âge, critères cumulatifs pour le locataire et simplement alternatifs pour le bailleur.

Ainsi, dans l’hypothèse où il s’avérait que le locataire aurait plus de 65 ans à l’échéance dudit bail, il conviendra de l’interroger sur ses revenus (par lettre simple et/ou recommandée et/ou sommation d’huissier) et ainsi anticiper une contestation du congé.

En l’état du droit, la sanction de l’absence de proposition d’une offre de relogement à un locataire « protégé » sera la nullité pure et simple dudit congé.

Un nouveau congé ne pourra alors en outre être délivré que pour la prochaine échéance.

A ce titre, nous ne pouvons que vous rappelez que la responsabilité du mandataire pourrait être engagée en cas d’invalidation d’un congé pour ce motif lié à la préparation du congé et à sa mise en œuvre.

Notes de l'article:

[1] Cass civ.3ème 28/02/2016 n°14-26.418.
[2] Civ. 3e, 29 avr. 2009, pourvoi n° 047963.
[3] Civ. 3e, 16 sept. 2009, pourvoi n° 049445.
[4] Cass civ. 3e, QPC, 30 mars 2023, n° 22-21.763.

PARTAGEZ CET ARTICLE :

Email
LinkedIn
Facebook
Twitter
WhatsApp

Nos publications

Les boucliers tarifaires « gaz » et « électricité » pour 2023 : ça chauffe pour les copropriétés !

La nouvelle obligation de déclaration pour les propriétaires d’un bien immobilier : les copropriétés sont-elles concernées ?

Copropriété : la loi « Energies renouvelables » modifie l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965.

Le mur de la prescription en droit de la copropriété se rapproche !

Diagnostics et travaux d’amélioration énergétique en copropriété : qui est responsable ?

La gestion des déchets en copropriété : nous vous faisons le tri !

Expulsion et exécution provisoire : les risques pour le bailleur

DPE et audit énergétique : tout comprendre sur ces deux diagnostics en copropriété.

Loi « anti-squat » : quelles conséquences pour les mauvais payeurs ?

Copropriétés : les dangers de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 à travers ses diverses rédactions depuis 2001.

Dernières actualités & conseils

Suivez nous sur

LinkedIn Logo - Audineau-Associés
Suivez AUDINEAU & Associés sur LinkedIn pour connaître les dernières actualités.
Audineau et associés - logo footer